15.12.09

Dil se re

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Nouveau format d’article, pour pallier le manque de temps qui m’empêche en ce moment de voir des films entiers : un clip, un article.

Et pour commencer, sans surprise, Dil se. Mais pas "Chaiyya Chaiyya," plutôt un clip un peu méconnu, celui, en fait, que j’aime le moins du film : "Dil se re." Ce que je lui reproche : son esthétique très clipesque justement, et son imagerie au goût parfois douteux. Pourquoi cette faute de goût étrange, qui ne ressemble guère au reste du film ?



De quoi ça parle : Amar vient d’annoncer à l’étrange Meghna qu’il l’aime « dil se », du fond du cœur.

La musique commence, mais son rythme martial n’a rien de la ballade romantique attendue. Selon les conventions du genre, nous sommes désormais dans les rêves, voire dans les fantasmes d’Amar, dont le visage est filmé en gros plan avant le début du clip. D’ordinaire, le fantasme du héros de film hindi (en tout cas en 1998) est champêtre et montagneux, idéalement situé dans une pittoresque confédération alpine. L’atmosphère est calme, romantique, d’un érotisme en général apaisé.
On en est loin, lorsque dans une brume qui se révèle être plutôt de la fumée se dessine une silhouette de soldat. Au milieu des plans sur un village en guerre, un terrain de jeu, tout juste abandonné (le ballon de basket tourne encore sur lui-même).
Arrivée de l’héroïne, prise au cœur d’un savant jeu de silhouettes militaires. Elle est perdue, elle court. D’autre soldats, puis encore ce terrain de jeu : une balançoire, agitée par on ne sait quel souffle. Drôles d’images de soldats, fascinants dans le contre-jour.
Et voici enfin notre héros, un peu trouble, associé au feu. Il épie Meghna cachée derrière un mur. Et nous voici en terrain connu : commence en effet l’habituel ballet des baisers-presque-donnés-mais-jamais-tout-à-fait, de l’héroïne-qui-échappe-au-héros-mais-ne-s’éloigne-jamais-trop. Meghna sourit. C’est assez rare dans le film pour être souligné. Et Amar a une vilaine tendance à briser tout ses bijoux, comme autant de liens qui la relient à son passé. Mais si notre héros contenait, lui aussi, son lot de pulsions destructrices ?
Ce qui est moins conventionnel, c’est que notre couple va parcourir le village en guerre, échapper aux explosions, aux soldats. Il la tient par la main, la rattrape quand elle trébuche. Il se paie même le luxe de faire voler d’un coup de pied un de ces objets enflammés, symboles des destructions de la guerre. Et bien sûr, il trouve toujours un instant pour échanger avec elle un regard amoureux. Il assure, Amar, dans son rêve. On a même l’impression que c’est lui qui déclenche les explosions, par sa parole et ses gestes.
Un trou d’obus se transforme en nid d’amour. La guerre offre un arrière plan idéal à son idylle, l’occasion de montrer sa bravoure, de sauver sa belle. Il regrettait, après leur première rencontre, qu’il n’y ait pas de méchants à qui il puisse l’enlever, sur son cheval blanc. Sa découverte du flou qui entoure le passé de Meghna lui permet d’inventer d’autres ennemis, plus réalistes.
Et surgissent enfin ceux que le ballon et la balançoire nous faisaient attendre : les enfants. Ces enfants sans qui un film de Mani Ratnam serait incomplet. Ces créatures toujours angéliques, plus que jamais symboles de paix et d'espoir. Plus de soldats en vue, mais un joyeux troupeau en pulls chamarrés, et un petit garçon avec lequel Amar joue, petit bonhomme vêtu comme lui, puis deux gosses isolés des autres : ceux du couple ? La paix est revenue, Amar a sauvé sa belle qui n’attendait que ça, les voici à la tête d’une petite famille.
Le décor se fait plus bucolique. Il reste bien quelques flammes et quelques barbelés, mais ce sont désormais les champs et les rivières qui dominent, et ce pont, par lequel Meghna fuit le village en feu pour se jeter dans les bras d’Amar, alternative à la guerre. Car ce sont bien les deux aspects du personnage : fasciné par le passé trouble de Meghna, par la violence qui l’entoure, il rêve aussi de l’en sortir, selon une alternative (l’amour ou la guerre) dont le film révèlera cruellement la naïveté et l’égoïsme : il n’y a que dans le fantasme d’Amar que Meghna se jette dans ses bras. Lorsqu’à la fin du film il ouvrira de nouveau les bras, dans ce geste si typique des héros de film hindi, elle tentera de l’éviter.

Mauvais goût des scènes de guerre teintées d’érotisme, certes. Mais mauvais goût qui a un sens : c’est celui d’Amar, et cela en dit long sur la façon dont il conçoit son amour pour Meghna.

Traduction des paroles.